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interview d'Arnie Roth

 

Mercredi 22 juin 2011 — 501 West Roscoe Street, Chicago — 16h10.

 

Ayant prévu large, je suis à mon rendez-vous avec 20 minutes d'avance. Mais la pluie ne semblant pas être bien loin, je préfère sonner que finir trempé.


La maison se situe dans une zone résidentielle plutôt calme
au nord du downtown de Chicago

Aujourd'hui, je vais m'entretenir avec Arnie Roth, le producteur/arrangeur/chef d'orchestre des concerts Distant Worlds: Music from Final Fantasy. Le 501 West Roscoe est le siège d'AWR Music LLC mais également le domicile familial.
Sa femme m'ouvre et me laisse m'installer sur le canapé du salon. Quelques instants plus tard, Arnie Roth arrive pour me saluer. Vu que je suis en avance, il va devoir me laisser patienter quelques minutes le temps de finir ce sur quoi il était. L'interview devant prendre fin à 17?h?30 maximum, il me prévient qu'il sera difficile de faire une heure complète et qu'il faudra sans doute couper avant.

Mais, que nenni ! Si l'homme ne s'avère pas très bavard sur son parcours personnel, il laisse sa passion parler dès qu'il s'agit de Distant Worlds, au point d'en oublier totalement la question d'origine. C'est donc parti pour une heure intense face à Arnie Roth.


La chaise de gauche est aujourd'hui mondialement connue
pour avoir accueilli mon royal postérieur

« Dear Friends a été le premier concert Final Fantasy que vous avez conduit. Comment en êtes-vous arrivé là ?

— Cela a été le premier concert de jeux vidéo que j'ai conduit. Tout est parti d'une coïncidence, en fait. Un de mes amis travaillait à la production du concert de Square Enix en Amérique du Nord. C'était en 2004, pendant l'E3 à Los Angeles [Dear Friends, premier concert Final Fantasy en Amérique]. Il a essayé de me convaincre de le conduire. Alors j'ai commencé à faire des recherches, et j'ai vu bien sûr les concerts qu'ils avaient déjà donnés au Japon [Tour de Japon et 20020220, entre autres]. J'ai donc accepté, et cela a été la première fois que j'ai rencontré Nobuo Uematsu.

Le problème c'est qu'à ce moment là, même après le concert de Los Angeles, la plupart des orchestres, incluant ceux d'Amérique du Nord, n'étaient pas convaincus que Final Fantasy pouvait être un concert à part entière. Pour eux, c'était quelque chose qui allait uniquement avec des événements du type E3. Ils étaient assez cyniques sur le fait de faire un concert hors convention. Pourtant, le Walt Disney Hall était plein [2?265 places assises], mais ce n'était pas une preuve suffisante à leurs yeux. À cette époque, aucun orchestre ne voulait jouer des musiques de jeux vidéos, en dehors du Japon. En fait, il n'y avait que mon ami, Thomas Böcker, qui avait tenté l'expérience [la série des Symphonic Game Music Concert a commencé en 2003 en Allemagne].


Le Walt Disney Concert Hall et son architecture improbable

Nous avons donc décidé, ici à Chicago, de nous lancer dans cette aventure. En 2005, la tournée Dear Friends était sur les rails. Tous les concerts ont été affichés complets, ce qui nous a poussés à continuer à produire d'autres concerts Final Fantasy.

— Et aujourd'hui, vous avez une idée du nombre de concerts Final Fantasy conduits ?

— Oh, je n'ai pas vraiment compté. Ce que je peux vous dire, c'est que nous avons fait avec Distant World, qui en est à sa quatrième année, environ 35 concerts les trois premières années. Nous avons renouvelé notre licence avec Square Enix pour trois autres années. Et les relations avec eux ainsi que le succès de la tournée nous laissent penser que nous n'allons pas nous arrêter là.

Mais cela reste un challenge pour moi, artistiquement, de toujours satisfaire les fans. Avec Nobuo, nous discutons énormément du répertoire musical afin de déterminer quelles pistes pourraient être ajoutées, que ce soit parce qu'il s'agit d'un morceau très apprécié par les fans ou artistiquement intéressant. D'ailleurs, ce weekend à Chicago, pour la première fois, nous allons jouer "Dark World". Mais ce choix ne vient pas du fait que c'est une piste adulée des fans. Cela fait quatre ou cinq ans maintenant que j'essaie de convaincre Nobuo Uematsu de venir sur scène pour jouer du synthétiseur. Jusqu'à maintenant, il a toujours refusé, préférant jouer sur scène avec son groupe [durant les concerts More Friends et Voices, avec son ancien groupe The Black Mages]. Il avait également accepté de monter sur scène ici à Chicago en 2010 lorsque nous avons créé un groupe pour l'occasion appelé The Chicago Mages [concert du 12 décembre 2009 à Chicago]. Nous avons ainsi pu jouer "One Winged Angel", "J-E-N-O-V-A", "Dancing Mad". Mais en dehors de ces apparitions en groupe, il n'est pas très à l'aise pour jouer en soliste. Jusqu'à aujourd'hui. Grâce à "Dark World", il va venir sur scène pour jouer du synthétiseur. C'est une grande victoire pour moi (rires). Il y a une condition cependant, c'est que je joue avec lui. Donc pour l'accompagner, je vais jouer du violon [Arnie Roth a une formation de violoniste à la base]. Je suis vraiment très excité par les arrangements, et je suis obligé de vous en parler un peu.


Nobuo Uematsu et Arnie Roth répétant "Dark World"

Nobuo va jouer la partie orgue, mais grâce à un second clavier, il pourra déclencher des effets sonores très similaires aux effets du "Dark World" d'origine, comme le souffle du vent par exemple. Pendant que nous travaillions sur l'arrangement, nous nous demandions également comment recréer avec des instruments certains autres effets. Les touches des flûtes traversières par exemple seront utilisées uniquement pour leur son, sans que l'on souffle dans l'instrument. C'est un exemple parmi d'autres, mais je suis très enthousiaste à l'idée de tous ces effets «?à la?» "Dark World".

— Vous avez également ajouté au répertoire de Distant Worlds les musiques jouées durant les deux concerts spéciaux : Distant Worlds II et Distant Worlds: Returning Home.

— Oui. Mais clarifions quand même un peu les choses. Nous avons lancé et enregistré Distant Worlds à Stockholm avec le Royal Stockholm Philharmonic Orchestra, un merveilleux orchestre avec lequel j'adore travailler. Donc lorsque nous y sommes revenus deux ans plus tard, ils ont préféré que l'on renomme le concert, pour bien le différencier du premier. Et vu que nous étions en train d'enregistrer le CD Distant Worlds II avec eux, nous avons décidé de nommer le concert Distant Worlds II également. Mais chaque concert fait partie intégrante de la tournée, les nouvelles pistes sont donc issues du CD Distant Worlds II, mais pas du concert.

Ici à Chicago, on parle du marathon Distant Worlds, parce que l'on va faire deux concerts en une journée. À cette occasion, nous jouerons des pièces de Distant Worlds I et II, ainsi que de Returning Home bien sûr, plus "Dark World" ainsi que "You are not Alone", qui apparaît pour la première fois dans la setlist de Distant Worlds [le morceau était joué durant Tour de Japon et Dear Friends]. C'est une magnifique musique que j'adore conduire. Et après Chicago, nous allons la rejouer dans les concerts suivants.


Les trois CD sortis jusqu'à maintenant

Nous sommes très chanceux d'avoir tant de succès, car les orchestres nous demandent de revenir. Mais ça reste toujours un challenge pour moi, de savoir comment gérer le temps qui nous est imparti tout en faisant plaisir aux fans. Surtout qu'il y a certaines pièces que je ne peux pas ignorer, comme "One Winged Angel", mais je dois en même temps veiller à y mettre de la nouveauté. Concrètement, pour notre retour à Huston par exemple, je vais devoir évidemment faire quelque chose de nouveau.

Ici à Chicago, j'ai la chance d'avoir deux concerts, nous allons donc être capables de jouer une partie plus importante du répertoire, avec deux concerts très différents entre l'après-midi et le soir. "Dark World" et "You are not Alone" étant des premières, nous les jouerons pendant les deux concerts, ainsi que certaines pièces maîtresses comme "Bombing Mission". En dehors de ça, les deux concert seront très différents. Et étant donné qu'ils sont sold out, les fans ont apparemment apprécié l'idée.


Le Symphonic Center de Chicago accueille le marathon Distant Worlds

Le répertoire de Distant Worlds aujourd'hui est si vaste que nous pourrions donner trois concerts de suite sans nous répéter. Même pendant ce marathon nous ne pourrions pas jouer toutes les pistes. Final Fantasy XIII et XIV par exemple ont un certain nombre de morceaux aujourd'hui intégrés dans la setlist de la tournée. Si je jouais les cinq ou six pistes en un seul concert, je devrais en supprimer d'autres que les fans aimeraient entendre. Nobuo Uematsu d'ailleurs ne souhaite pas trop de Final Fantasy XIV. Je pense personnellement qu'il y a là certaines de ses meilleures musiques et c'est vraiment dommage que le jeu rencontre des problèmes techniques jusqu'à maintenant, car les fans ne connaissent pas bien la bande-son. "Answer", par exemple, est absolument magnifique. Elle sera chantée à Chicago dimanche par Susan Calloway, qui est l'interprète d'origine. Mais en dehors de celle-ci, nous ne jouerons pas trop de Final Fantasy XIV, car Uematsu sent que les fans n'ont pas encore assimilé ces musiques et qu'ils souhaitent entendre beaucoup d'autres choses.

Je pense que Distant Worlds est vraiment un concert à part par rapport aux autres. Par exemple, je vais conduire à Cologne en juillet le Symphony Odysseys [le 9ème Symphonic Game Music Concert dédié à Nobuo Uematsu le 9 juillet 2011] avec Thomas. Ce sont également des musiques de Nobuo Uematsu, mais les arrangements sont totalement différents, très fantasy et symphoniques. C'est beau et fantastique, mais on s'éloigne de l'idée d'origine. Pour Distant Worlds, on essaye d'être le plus proche possible de ce qu'il y a dans le jeu. "Dancing Mad" par exemple, que nous jouerons ce week-end, a maintenant sa quatrième partie. Très difficile pour l'orchestre, mais c'est le genre de chose de que nous essayons de faire.


"Dancing Mad", l'une des très longues pistes de Distant Worlds

Pareil pour "Dark World", les gens qui connaissent cette musique seront très satisfaits de l'arrangement, car nous sommes vraiment proches de la version 8 bits, avec Nobuo Uematsu jouant en direct les bruits du vent. Rien n'est pré-enregistré.
Bon, vous m'avez lancé sur le sujet, voilà le résultat (rires).

 

— Savez-vous où vous allez vous rendre avec Distant Worlds maintenant ?

— Je peux vous dire, et vous êtes la première personne à qui je le dis, que nous allons retourner à Séoul en octobre 2011. Nous allons évidemment à Londres [le 5 novrembre 2011] comme vous devez le savoir, qui est complet par ailleurs. Le concert promet d'être magnifique, j'ai vraiment hâte. En dehors de ça, nous sommes de toute manière constamment à la recherche de nouveaux lieux où nous produire. L'avantage, c'est que l'on peut soit se produire dans des salles acoustiques, comme ce week-end, soit dans des salles de théâtre avec l'aide de micros. On peut même jouer dans les centres de convention, avec des micros également. Mais ce dont on ne peut se passer, c'est d'énormément de musiciens (rires). Encore une fois, rien n'est pré-enregistré, et j'aime insister sur ce point. Ce week-end en est un bon exemple d'ailleurs. Dans cette salle acoustique, les micros sont uniquement pour Susan Calloway et pour aider un peu les chœurs. Nous sommes limités je crois à cinquante choristes à cause de la configuration de la scène, ce qui est déjà pas mal. Mais avec l'orchestre jouant, ce n'est pas assez pour les entendre distinctement chanter.

Le chœur présent au marathon de Chicago, répétant "Answer"

 

En dehors de ces « artifices » qui ne servent qu'à renforcer le chant, tout est live. Uematsu sera en live. Il aura un ampli pour son synthétiseur bien sûr, mais le volume et tout le reste sera contrôlé directement par lui. Et c'est vraiment ce que j'apprécie.

 

Je ne dis pas que c'est la meilleure façon de faire. On pourrait avoir vingt musiciens sur scène et avoir quasiment tout de pré-enregistré, mais ce ne serait pas le même spectacle. Je connais des amis qui le font dans le monde du jeu vidéo, et cela fonctionne très bien. Et du coup eux s'en sortent avec vingt musiciens. Et pendant le spectacle, il peut y avoir des gens qui viennent sur scène pour se battre. Nous nous ne pouvons pas.

Mais c'est l'avantage de jouer pour les fans de Final Fantasy : ils s'y connaissent en musique et ne viennent que pour ça. J'ai conduit beaucoup d'autres concerts de jeux vidéo depuis Dear Friends comme Play!, des concerts Nintendo avec Zelda, Starfox, Super Mario. J'ai dû tous les faire (rires). Et c'est fantastique, j'adore vraiment conduire Kingdom Hearts, Chrono Trigger, Chrono Cross, Legend of Mana. Mais les fans de Final Fantasy sont vraiment une espèce à part. Ils préfèrent écouter la musique. L'écran que l'on met pour les concerts Distant Worlds est superflu, je le sais. Beaucoup d'orchestres ou de professionnels du milieu pensent que nous devont diffuser des images de jeux vidéo, mais nous savons qu'il n'en est rien.


L'écran de Distant Worlds qui accompagne chaque concert
avec des images de
Final Fantasy

Les fans sont tellement dans la musique. Et c'est vraiment un immense plaisir pour nous, en tant que musiciens : nous avons une audience venue simplement nous écouter jouer. Ils n'ont pas besoin de l'écran, ils n'ont pas besoin d'un solo de guitare électrique ou de gens simulant un combat sur scène. Pas de poudre aux yeux, juste la musique. Et c'est vraiment pour ça que j'aime Distant Worlds. Je ne me lasserai jamais des fans de Final Fantasy. Même si j'apprécie Play! ou autre. Je reviens d'ailleurs juste de Stockholm où j'ai conduit le concert de Nintendo [LEGENDS, 1er juin 2011], produit par Thomas Böcker. Nous avons fait Super Mario, Super Mario Galaxy, Zelda, Pikmin. Ça a été fantastique, mais c'est différent de Final Fantasy. Distant Worlds a quelque chose que je ne vois nulle part ailleurs.

Donc au final, pour répondre à votre question, « où allons nous jouer après », c'est simple : nous voulons jouer partout où se trouvent les fans de Final Fantasy. Nous sommes depuis un certain temps sur Hong-Kong, nous espérons retourner en Australie après le magnifique concert de Sidney, on voit aussi en Asie, en Chine par exemple avec Bejing et Shanghai, retourner à Singapour, Kuala Lumpur, la Malaisie. Il y a énormément de fans dans cette partie d'Asie (Phillipines, Indonésie) et nous aimerions vraiment y aller.
Il y a l'Europe, bien sûr. Nous travaillons avec plusieurs villes en Allemagne, à Vienne (capitale de l'Autriche), Amsterdam (capitale des Pays-Bas), avec l'Espagne. Et même Londres, qui s'est retrouvé complet extrêmement rapidement. Les fans réclament un autre concert pour le même jour, mais logistiquement ce n'est pas possible. Donc nous allons voir pour y retourner l'année prochaine.
Il y a enfin énormément d'autres villes américaines. Nous sommes proches d'une confirmation pour Mexico. Il y a aussi le Brésil et l'Argentine. Mais c'est beaucoup d'e-mails et de coups de téléphone, quasi quotidiennement.

— Et la France ?

— Nous aimerions énormément nous produire à Paris. Nous discutons depuis deux-trois ans maintenant pour y organiser un concert, mais au dernier moment, il semble toujours y avoir un problème logistique, que ce soit au niveau des brochures ou un problème de musiciens. Du coup nous essayons d'explorer d'autres voies, mais Paris est définitivement l'une des villes où nous voulons aller. Nous savons qu'il y a énormément de fans en France, donc dites-leur que nous y travaillons.


Un concert Distant Worlds au Théâtre Mogador, ce serait sympa non ?

— Vous avez évoqué des différences entre les fans de Final Fantasy et les autres fans de jeux vidéo lors de concerts orchestrés. Mais voyez-vous également une différence entre les fans de Final Fantasy et les amateurs de musique orchestrée « classique » ?

— Hum, c'est une comparaison différente mais assez intéressante. En fait, il est intéressant de présenter les concerts Final Fantasy aux amateurs d'orchestres symphoniques, car ils ne connaissent pas. Nous faisons en sorte qu'ils soient encouragés à venir, et on commence à les voir. En fait, beaucoup de fans de «?classique?» suivent les newsletters des salles pour être au courant de l'actualité et des prochains concerts. Du coup, nous leur annonçons généralement en avant-première par ce biais l'arrivée de Distant Worlds. Certains achètent les billets non pas parce qu'ils connaissent, mais pour leurs familles, ou surtout parce qu'ils espèrent amener avec eux les plus jeunes qui ne savent pas ce qu'est un orchestre symphonique.
Et ça c'est vraiment le gros problème aux États-Unis. De ce que je peux en voir, l'Europe dans son ensemble soutient les arts. Il y a souvent un, deux ou même cinq orchestres dans une seule ville. Et les musiciens ont des contrats à temps plein. Par ailleurs, même si un concert n'est pas complet, il a quand même lieu. Les prix des tickets sont d'ailleurs généralement abordables. Mais ici, le gouvernement ne croit pas en cela. Ils sont plus intéressés par l'aspect militaire que les arts. Et c'est vraiment triste de voir cette absence des arts à l'école, car par conséquent, notre audience ne se renouvelle pas. Les enfants grandissent sans savoir ce qu'est un violon ou qui est Beethoven. Le problème c'est que ça affecte le futur des orchestres, des ballets, des théâtres, des opéras. Et c'est vraiment une tendance de fond qui va perdurer pendant des années et qu'il sera difficile de contrer. Car des enfants non-initiés aux arts auront à leur tour des enfants qu'ils ne pourront pas initier. C'est quelque chose qui me tient vraiment à cœur.


Ne devenez pas américains : Beethoven à gauche, un violon à droite

L'un des aspects vraiment intéressants de Distant Worlds, c'est que l'on attire grâce à la tournée une audience qui, pour la grande majorité, n'a jamais assisté à un tel événement. Grosso-modo, notre audience est à 60 % composée de gens ayant entre 18 et 35 ans. Une autre part importante de notre audience se situe entre 35 et 45 ans. C'est typiquement le genre d'audience que n'importe qui aimerait avoir et développer. La question, pour les gens qui nous accueillent, n'est pas comment ils vont vendre Distant Worlds — ça, nous on sait le faire — mais comment ils vont pouvoir faire revenir cette audience. J'ai essayé quelques expériences avec avec l'orchestre de Stockholm. Ils m'ont demandé par exemple de glisser un classique dans les concerts que je conduis, sans que ce ne soit annoncé. On a essayé une version courte de "Mars" ["Mars: Bringer of War" de Gustav Holst], en ouverture de deuxième partie. Gros succès de la musique. J'ai saisi à ce moment-là le micro pour annoncer qu'il s'agissait un morceau composé en 1970. Les gens ont été un peu surpris, mais pas trop, et surtout intéressés.
C'est notre devoir à nous tous, Nobuo Uematsu, Koji Kondo [compositeur chez Nintendo pour les séries Mario et Zelda, entre autres], moi-même et tous les autres, de porter l'héritage de ceux qui étaient là avant nous. Nous ne sortons pas de nulle part. Nobuo Uematsu a écouté des choses avant de composer. Et il est important d'initier notre audience. Une autre solution pour faire venir une nouvelle audience à des concerts classiques de Beethoven ou Tchaikovsky serait simplement d'ajouter "Liberi Fatali" au programme par exemple, ou "One Winged Angel". J'essaie de leur faire comprendre que ce serait un moyen simple et efficace de faire venir les fans de jeux vidéo : « Mettez au programme Tchaikovsky, Holst et Uematsu. » De mon avis, il est facile d'enchaîner "Liberi Fatali" et "Carmina Burana". Ce ne serait pas choquant. Les orchestres doivent faire cet effort d'ouverture et de respect envers les compositeurs d'autres horizons. Mais malheureusement ils ne le font pas.

Répétition de "Liberi Fatali"

 

Nous essayons, de notre côté, d'inciter les fans à retourner écouter ces orchestres, en leur faisant comprendre que s'ils n'étaient pas là, nous n'aurions pas pu venir jouer les musiques de Final Fantasy. Et c'est là un autre danger. Récemment, de nombreux orchestres ont fait faillite. Une fois encore parce que le gouvernement ne les soutienait pas. Donc nous conseillons à nos fans de surveiller les salles les plus proches, et de voir leurs programmes et leurs offres. Il y a régulièrement des ventes de dernière minute pour les concerts qui ne sont pas encore complets, et les prix sont alors très intéressants.
Excusez-moi, c'est vraiment un sujet qui me tient à cœur.

 

— En dehors des jeux vidéo, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre carrière ?

— J'ai travaillé avec Bocelli, Pavarotti, Diana Ross et beaucoup d'autres, que ce soit pour des arrangements ou des orchestrations. Je continue de travailler pour la plupart, mais de manière plus sporadique. Distant Worlds me prend beaucoup de temps et me fait voyager partout dans le monde, c'est donc compliqué.
J'ai un background d'opéra classique et une formation de violoniste. J'ai longtemps joué avant de me diriger vers la conduite d'orchestres. À partir de ce moment-là, j'ai conduit beaucoup de classiques d'opéra, ainsi que quelques vocalistes comme Pavarotti. Aujourd'hui, avec AWR, je produis et écris pas mal de musique, avec notamment douze films à mon actif. Nous travaillons également avec la télé, principalement pour les talk shows tels qu'Oprah, Good Morning America, etc. Nous leur faisons des arrangements généralement. Nous travaillons également avec des artistes lors de leur tournée. Nous engageons des musiciens pour Bocelli par exemple, afin d'assurer sa tournée mondiale. C'est une assez longue carrière en fait, assez diversifiée (rires).


Andrea Bocelli et Luciano Pavarotti,
sans doute les deux ténors les plus connus au monde

— Une carrière bien remplie qui a été récompensée plusieurs fois si je ne m'abuse.

— Oui, j'ai remporté un Grammy avec le groupe Mannheim Steamroller, de très vieux amis. Cela fait 25 ans, je crois, que j'en fais partie. Mais maintenant je ne me produis plus trop avec eux, n'ayant plus le temps. Mais je continue à les produire, par contre, avec AWR. J'ai également gagné quelques récompenses pour les ventes de CD et DVD sur lesquels j'ai travaillé. Mais généralement, c'est surtout le Grammy que les gens retiennent.


Arnie travaille chez lui lorsqu'il s'agit de composer ou d'arranger

— Au final, vous avez à peu près tout fait : vous avez joué, produit, conduit, arrangé, orchestré. Et cerise sur le gâteau, avec des prix à la clef. Avez-vous cependant un rêve inassouvi ?

— Honnêtement, je n'en ai aucune idée. Je n'ai pas le rêve de faire quelque chose de différent d'aujourd'hui. Ma plus grande joie reste d'être sur scène ou en studio avec les meilleures musiciens ou chanteurs. Pour moi ce qui compte vraiment, c'est de créer quelque chose, de donner vie à la musique. Et peu importe avec qui ou de quel genre. Je ne veux pas me limiter à un style ou à une personne en particulier. Distant Worlds en est un bon exemple. Prenez "Swing de Chocobo", "Liberi Fatali" et "Dancing Mad". Trois pièces totalement différentes qui sont de vrais challenges pour nous. Et le fait au final de relever ces challenges représente vraiment la récompense.
Alors si j'ai d'autres rêves ? Non, absolument pas.


"Swing de Chocobo" est en live l'une des rares musiques qui profite vraiment de l'écran

— Donc aucun regret ? Pas même le lointain rêve d'une carrière de catcheur professionnel ?

— (Rires) Je me souviens lorsque Nobuo a déclaré ça pendant une interview. Cependant, je ne sais pas s'il souhaite toujours le devenir. Lui et moi partageons, néanmoins, non pas un rêve, mais un domaine de reconversion possible si nous devions en arriver là : ça ne me dérangerait pas d'être viticulteur. J'apprécie particulièrement le vin rouge. Nobuo Uematsu est lui plutôt fan de bières, mais on s'accorde à dire que finalement, si l'on devait se reconvertir dans le vin, on ne le vivrait sans doute pas si mal (rires). »


 

Après cette heure d'interview qui est allée au-delà de mes espérances, place à la répétition. Oui, car je me suis vu également proposé de rester pour assister la répétition de « Maria and Draco ». Arrivent donc les trois ténors qui interpréteront sur scène le dimanche suivant le fameux opéra de Final Fantasy VI. Maria, Draco et Ralse, accompagnés par une pianiste et dirigés par Arnie Roth, vont pendant quarante-cinq minutes me donner un petit avant-goût de ce qui m'attend dans quatre jours. Une interprétation impressionante qui ne me fera dire qu'une chose : vivement dimanche.

 


De gauche à droite : Rasle, Draco et Maria

J'en profite pour prendre quelques photos, admirer les artistes et tomber amoureux de Maria. Quarante-cinq minutes plus tard, il est malheureusement temps de partir. Mais pas sans une petite visite du studio où Arnie Roth travaille, un coup d'œil à sa cave à vin (on est fan amateur de vin ou on ne l'est pas) et une dernière photo. Liane, son assistante, me raccompagne et m'invite avant de partir à jeter un rapide regard au centre de production de AWR, dans la maison adjacente. L'endroit mériterait une intervention de Mary Poppins mais il regorge de petites merveilles telles que des partitions originales pour les concerts et des produits dérivés.

Finalement, je prends définitivement congé d'AWR, du moins jusqu'à dimanche !

Les commentaires

  • commentaire par cloudkiller le 25.01.2012 à 19h49

    Bravo. Très bonne interview !

  • commentaire par Belgamesh le 04.08.2011 à 19h15

    Excellente interview. Arnie fait preuve de beaucoup de relationnel.

    Tu as du vivre un rêve éveillé !

  • commentaire par Ferate le 02.08.2011 à 18h56

    Excellente interview, vraiment !
    J'aimerais tellement y aller... j'adore les musiques de Final Fantasy, et je n'ai jamais été voir un orchestre !
    Merci Simousse ! Emote OK

  • commentaire par Noctis le 02.08.2011 à 15h23

    All hail Simousse ! Excellente interview. Tu devrais te reconvertir en journaliste ou reporter ou les deux.

  • commentaire par Toulala le 02.08.2011 à 14h05

    Magnifique interview. Et pour le passage à Paris, comme d'habitude les Français font n'importe quoi o/

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